Les bédouins de Sousse

(CPA - ND Photo  n°180  - Coll. Ch. Attard)

Dans les années 20, tout le monde fredonnait une chanson aux paroles d'une rare bêtise : "la fille du bédouin". Pour beaucoup, la connaissance de ces peuplades nomades a du s'arrêter à cela ! 

Pour les autorités du Protectorat, cette tranche de la population tunisienne fut vite reconnue comme étant "à problèmes".  incontrôlables, sources de vagabondage, de mendicité et d'épidémies, les bédouins étaient gênants et relégués dans les faubourgs de la ville.

Pierre Giffard (1853-1922) alors reporter pour le "Figaro" avait, dès 1881, donné le ton en écrivant dans son ouvrage "Les français à Tunis" :

La moitié de leur vie, en tant que Tunisiens déjà séculaires, se passe à repousser du sol de leurs villes les ignobles Bédouins de la plaine et du centre, voleurs, assassins, pillards, qui ne vivent que de rapines, et qui sont aussi désireux de chasser les Maures pour s'emparer de leurs richesses que de chasser les chrétiens et les juifs qui font commerce sur le sol tunisien. 

Ces Bédouins sont ce qu'on appelle les Arabes proprement dits. Il y en a aussi dans les villes ; ils font les bas métiers et sont toujours prêts à tendre la main aux contingents belliqueux de l'intérieur, contre lesquels nous allons avoir à lutter longtemps, cela est certain, du moment que nous nous présentons comme les protecteurs des Maures. Il ne faut jamais oublier cette distinction : Les Maures tunisiens d'une part, aristocratie embourgeoisée, bon petit peuple travailleur et intelligent, — le plus intelligent de tout l'islam. D'autre part les Arabes du désert et des campagnes, bandes indisciplinées de parfaites canailles."

Par nature, nomades et citadins se sont de toutes façons toujours opposés, suspectés mais en dehors de périodes difficiles ou d'affrontements directs assez rares, un certain équilibre se maintenait.

(CPA - J. Geiser Alger n°346  - Coll. Ch. Attard)

(CPA - LL n°24  - Coll. Ch. Attard)

L'arrivée des nouveaux colons français, progressivement, bouleversa le mode de vie de ces populations. L'accession à la propriété qui connut de nouvelles règles, la mécanisation agricole, la prédominance de la culture de l'olivier sur l'élevage traditionnel et nomade enlevèrent beaucoup de travail aux bédouins. 
Autant de raisons qui accentuèrent durant les périodes difficiles de sécheresse (1945 et 1948 notamment), de famines et de misère, la migration des bédouins Souassi ou Methalith aux portes de la ville. 
L'espoir de trouver à Sousse quelques petits emplois de portefaix, débardeurs, cireurs de chaussures ou chiffonniers, les faibles revenus de la mendicité les retenaient en ville et les incitaient  peu à peu à devenir semi-sédentaires ou en tout cas à s'installer parmi eux.

Les deux photos ci-dessus prises au même endroit à quelques années de distance nous prouvent cette sédentarisation : d'abord une simple tente plantée sur un terrain privé, puis une cabane faite de pierres, de branchages et de matériaux de récupération, plus tard des gourbis.

(CPA - LL n°84  - Coll. Ch. Attard)

Le chameau et son cavalier 
(CPA - LL n°3 - Coll. Ch. Attard)

Les bédouins dans tous les cas dérangeaient et plusieurs décrets furent signés pour les contrôler, les contenir et le cas échéant leur interdire séjour et les expulser. 
Cependant, certaines exceptions existaient (preuve de travail ou de placement du chef de famille auprès d'un patron, personnes malades ou âgées...) et une aide alimentaire et médicale des sociétés d'entraide musulmanes (Tékia) leur permettait de subsister.

Femmes bédouines lavant leur linge. 
Les femmes se baignaient (très tôt le matin souvent bien avant six heures) 
et
lavaient leur linge en le battant et le piétinant dans le sable ou à l'aide de battoir .
(CPA - LL n°4 - Coll. Ch. Attard)

(CPA - ND Photo n°58 - Coll. Ch. Attard)

Vêtues d'un ample sayon de laine ou de cotonnade (la mélia), descendant jusqu'au-dessous des genoux, retenu à la taille par une ceinture ou un bout de corde, un foulard enroulé, "les femmes des tentes" n'ont que cette humble pièce de tissu pour chemisier, robe ou jupe. 

(CPA - LL Photo n°237 - Coll. Ch. Attard)

(CPA - Garigues n°83 - Coll. Ch. Attard)

Elles portent une étoffe enroulée à la créole pour coiffure mais ont le regard noir intense, la peau cuivrée et des dents d'une blancheur éclatante. 
Elles ne se séparent jamais de leurs bijoux d'argent : boucles d'oreilles en forme de serpent ou d'écailles de poisson, long collier à plusieurs lignées dont les extrémités formées de deux fibules rondes d'argent (khlel) servent à attacher le haut de leur habit.
Mains de fatma (khomsa), croissants lunaires fermés , vieilles monnaies , petits miroirs, tous chassant le mauvais oeil et protégeant des bas esprits, bracelets au poignet (hadida) et à la cheville (kholkhal)

Jeunes bédouines
(CPA - LL n°26 - Coll. Ch. Attard)

La misère fut réelle à Sousse et signalée même après l'arrivée des français. Les épisodes de famines restent dramatiques, des enfants sans famille parcourent les rues à la recherche de quelques nourritures ou piécettes. La malnutrition et les maladies (typhus, choléra) ne les épargnent pas encore.

Enfants des faubourgs 
(CPA - LL n°78 - Coll. Ch. Attard)

A la fontaine, les enfants participent très tôt aux labeurs les plus lourds. 
(CPA - LL n°88 - Coll. Ch. Attard)